6.

 

 

 

 

Chloé s’excusait de ne pas pouvoir marcher plus vite. Mike n’avait jamais rien entendu de plus poignant.

Chloé avait survécu à des épreuves qui en auraient tué plus d’un. Enfant, elle avait été brutalisée. Pendant une dizaine d’années, elle était allée d’hôpital en hôpital. Elle avait été opérée quatorze fois. Elle était vivante par miracle – et elle s’excusait !

Harry avait tué le salaud qui avait jeté sa petite sœur contre un mur comme si elle avait été une poupée de chiffon ; sinon, Mike serait allé lui dire deux mots. Il lui aurait proposé de voir si un expert en close-combat d’un quintal et des poussières était aussi facile à déplacer qu’une gamine de cinq ans sans défense.

Ouais ! Mike aurait adoré faire ça.

Le garage du Morrison Building était immense et la place de parking d’Harry se trouvait à cent lieues des ascenseurs. Harry et Ellen avaient déjà fait la moitié du chemin, Harry se retournant toutes les trente secondes pour voir si Chloé suivait le mouvement.

Harry n’avait pas besoin de s’inquiéter parce que Mike veillait sur elle. Et pas qu’un peu !

Mike aurait juré qu’après ce qui s’était passé hier soir, il aurait été dégoûté des femmes pendant un certain temps.

Eh bien, non ! Le désir renaissait, plus fort que jamais. C’était dans sa tête, ça courait dans ses veines, provoquant une vague de chaleur entre ses jambes. S’il y avait une chose que vingt ans de sexe intensif lui avaient apprise, c’était à contrôler sa queue. Et là, il la sentait, toute lourde et dure contre son bas-ventre.

Ce n’était pourtant pas comme d’habitude. S’il avait été un peu moins obnubilé par Chloé, il aurait pu essayer de réfléchir à ce qu’elle avait de spécial. Pour l’heure, il avait juste assez d’oxygène dans le cerveau pour savoir qu’il ne devait pas la quitter d’une semelle.

Harry et Ellen étaient déjà installés dans leur gros 4x4 lorsque Mike et Chloé les rejoignirent. Harry démarra le moteur.

— Allez hop ! En voiture ! Et que ça saute ! cria-t-il.

Chloé tressaillit. Mike la vit plisser les yeux.

Mike aimait Harry. Il l’aimait comme un frère – et même plus qu’un frère. Ce n’est pas pour ça qu’il n’eut pas envie de lui botter les fesses.

Parce qu’Harry ne se rendait pas compte des difficultés de Chloé. La hauteur du marchepied du 4x4 était pour elle un vrai souci. Sans un mot, Mike la prit par la taille et la déposa délicatement sur le siège. Lorsqu’il monta par l’autre côté, elle lui sourit.

— Merci, dit-elle tout bas, en se penchant pour être entendue de lui seul.

Oh, ce sourire ! Par quel miracle un simple sourire pouvait-il l’embellir encore ? Mike pensa qu’elle ne devait pas sourire souvent. La vie ne lui en avait guère fourni l’occasion. Il connaissait le problème.

Ellen se retourna.

— Chloé, j’ai hâte que tu voies Gracie, même si elle est un peu grognon en ce moment. Nous pensons qu’elle fait ses dents.

— Quel âge a-t-elle ?

— Trois mois.

— Un beau bébé, dit Mike.

— Oui, c’est vrai, confirma Ellen en souriant. Elle ressemble à Harry et… maintenant que je te vois, elle te ressemble beaucoup aussi.

Chloé se cacha à moitié derrière sa main.

— Oh, il ne fallait pas me le dire, ça va me faire pleurer à nouveau !

— Ne te gêne pas, lui dit Harry en la regardant dans le rétroviseur.

Ellen sortit des Kleenex de la boîte à gants, en garda un pour elle et passa les autres à Chloé.

— J’ai bien fait de ne pas mettre de mascara ce matin, dit-elle. J’aurais l’air d’une maman raton laveur.

— Et moi, dit Chloé en riant, d’une tata raton laveur. Dire que j’ai une nièce, ajouta-t-elle en hochant la tête. J’ai de la peine à le croire.

— Tu as besoin d’aide pour faire tes bagages ? proposa Ellen alors qu’ils roulaient vers l’hôtel.

— Oh, non. Je n’ai pas beaucoup d’affaires. Je ne pensais pas rester plus de deux ou trois jours.

Cette déclaration fut accueillie par un silence.

— Tu vas rester plus de deux ou trois jours, crois-moi, assura finalement Harry en s’adressant à son reflet dans le rétroviseur.

Si ça ne tenait qu’à lui, pensa Mike, elle resterait pour toujours. Il y avait plusieurs appartements libres dans l’immeuble. Harry pourrait en obtenir un pour Chloé. Il suffisait d’en parler au syndic.

Ils se garèrent devant le Del Coronado, un grand building tout blanc avec des tourelles rouges qui brillaient sous le soleil.

— Je monte avec elle, décida Mike.

Il n’était pas question qu’il la laisse porter seule ses bagages.

— Ce n’est pas la peine… protesta Chloé.

Mais il était déjà descendu et faisait le tour du 4x4 pour lui ouvrir sa portière. Comme il l’avait déjà fait, il la prit par la taille et la déposa sur le sol. Elle était légère comme une plume. Et si douce entre ses mains. Il eut des regrets de devoir la lâcher.

En refermant la portière, Mike croisa le regard d’Harry dans le rétroviseur. Harry et lui se connaissaient bien. Entre eux, les mots n’étaient pas nécessaires.

« C’est ma sœur, disaient les yeux d’Harry. Fais gaffe ! »

Les yeux de Mike étaient non moins éloquents. « Je sais. T’inquiète ! »

Le Del Coronado était très fréquenté pendant les fêtes de fin d’année. Chloé, qui venait de quitter le froid et la neige de Boston, comprenait l’attrait de San Diego. Ici, c’était pour ainsi dire l’été. Il y avait des touristes partout – bronzés, heureux et s’agitant dans tous les sens. Beaucoup de familles, avec des ribambelles d’enfants.

Un groupe d’hommes, heureux et décontractés dans leurs ridicules tenues de golf, traversaient le hall en plaisantant, riant et ne faisant attention à personne. Et ils venaient vers elle.

Chloé se crispa. Elle était deux fois plus petite que la plupart d’entre eux et savait par expérience qu’ils ne la remarqueraient pas tant qu’ils ne l’auraient pas bousculée. Ils déboulaient comme une horde d’éléphants ou comme un train de marchandises, enfin, le genre de chose qu’on n’arrête pas comme ça. Elle voulut s’écarter de leur chemin mais sentit que Mike se glissait derrière elle. D’une main, il la tint par la taille et de l’autre par le bras. Sans dévier d’un pouce, ils passèrent facilement au milieu des bonshommes. En fait, le groupe s’ouvrit comme la mer Rouge pour les laisser passer. Ensuite, ils atteignirent sans encombre la réception, en traversant des bataillons de touristes.

Incroyable, se dit-elle. Cette impression de fendre la foule était inouïe. Il lui avait épargné un véritable parcours du combattant. Lui, évidemment, les gens le voyaient arriver et faisaient place.

Chloé évoluait à ses côtés comme dans une bulle protectrice – une impression si rare qu’elle s’en délectait.

Elle informa le réceptionniste qu’elle quittait l’hôtel.

— Oui, madame, dit l’homme, qui s’appelait Ronald s’il fallait en croire le badge agrafé sur sa veste. J’espère qu’il n’est rien arrivé de fâcheux ?

Chloé rosit de bonheur.

— Rien de fâcheux, Ronald, au contraire. J’ai seulement décidé d’accepter l’invitation de mon frère.

Oh ! que ces mots-là étaient doux à prononcer. Elle avait accepté l’invitation de son frère !

— Ça doit être agréable de s’entendre dire ça tout haut, murmura Mike, et Chloé le regarda, étonnée une fois de plus par sa finesse.

Il avait tous les attributs du macho, dégageait une impression de puissance et exsudait des phéromones mâles par tous les pores de sa peau. Un parangon de virilité.

Dans l’esprit de Chloé, de tels hommes étaient indifférents à tout ce qui n’était pas eux. C’est pourquoi Mike la surprenait tant.

— Oui, dit-elle, ça fait du bien. Surtout que je n’aurais jamais imaginé dire ça un jour.

Elle se tourna pour le regarder bien en face et subit aussitôt la fascination de son regard lumineux.

— Je suis heureux, dit-il de sa belle voix grave. Vraiment heureux que tu sois là.

Que pouvait-elle répondre à cela ?

— Votre clé, madame, fit le réceptionniste.

Chloé était tellement désorientée, hors de l’espace et du temps, qu’il répéta en glissant la carte magnétique sur le comptoir :

— Votre clé, afin que vous puissiez récupérer vos bagages…

Il devait la prendre pour une demeurée. Chloé rougit. Les retrouvailles avec un frère, la découverte d’une famille, le pouvoir de séduction de Mike, ça faisait beaucoup d’émotions fortes d’un seul coup !

— Merci, dit Mike en empochant la carte.

Ronald lui expliqua où se trouvait la chambre, dans l’aile nord. Mike le remercia d’un hochement de tête.

— Tu viens, jolie Chloé ? dit-il en lui prenant le bras. Dépêchons-nous de faire ta valise, qu’on puisse aller à la maison.

Jolie Chloé. À la maison. Oh ! là, là !

Le Del Coronado était immense et il fallut marcher, croiser d’autres groupes qui s’écartèrent, leur livrant sans difficulté le passage. Mike, très attentif, marchait du même pas qu’elle, lui offrant son bras comme s’ils avaient été dans un grand bal. Elle avait l’impression que tant qu’il serait là, il ne pouvait rien lui arriver de fâcheux. C’était un sentiment délicieux.

Chloé aimait marcher, c’est la marche qui ne l’aimait pas.

Elle n’avait pas eu moins de cinquante fractures. La plupart de ses os étaient assez bien ressoudés mais elle ne contrôlait pas entièrement son corps. Un chirurgien orthopédiste lui avait expliqué qu’elle avait perdu des millions d’éléments proprioceptifs, les minuscules récepteurs logés dans les muscles, les os, les tendons et les articulations, et qui nous renseignent en permanence sur la position de notre corps. Lorsqu’elle se déplaçait, elle devait faire attention à ne pas poser le pied n’importe où, parce que si elle trébuchait un tant soit peu, elle se retrouvait par terre, alors qu’une autre aurait rétabli automatiquement l’équilibre.

Avec Mike à ses côtés, elle pouvait y aller ! S’aventurer dans des couloirs bondés, passer sur des pavés inégaux, traverser des pelouses ! Rien ne l’effrayait…

Arrivé à destination, Mike fit glisser la carte dans la serrure et ouvrit la porte.

C’était une très belle chambre avec vue sur la mer.

— Je n’en ai que pour une minute, annonça Chloé.

— Prends ton temps, répondit Mike en la caressant du regard. Tu n’avais pas l’intention de rester longtemps à San Diego.

Ce n’était pas une question.

— J’ai retenu la chambre pour trois nuits. Si les choses ne s’étaient pas bien passées avec Harry, au lieu de repartir tout de suite, j’aurais fait du tourisme. À Boston, il y avait cinquante centimètres de neige et il gelait à pierre fendre.

— Eh bien, tu n’es pas près d’y retourner.

Elle ouvrit un placard et en sortit ses affaires.

— Voilà tout mon trousseau, dit-elle en posant sur le lit sa lingerie, une chemise de nuit, deux pulls et un pantalon.

— Tu vas devoir faire venir des vêtements de Boston, dit Mike. Ou bien te refaire une garde-robe ici. Ce ne sont pas les jolies boutiques qui manquent. Et tu n’as pas de soucis d’argent, si j’ai bien compris.

Chloé se retourna.

— Non, répondit-elle. Mes parents adoptifs m’ont laissé une fortune. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai recherché Harry. Pour partager mon héritage avec lui, fifty-fifty. Ce ne serait que justice. Nous sommes frère et sœur. La moitié de mes biens lui appartient.

Même si aucune somme d’argent ne pouvait réparer le fait qu’Harry ait été abandonné comme un chien galeux, tandis qu’elle était recueillie par des gens riches.

Mike s’approcha d’elle en hochant la tête.

— Tu veux donner de l’argent à Harry ? Je te souhaite bonne chance. Je suis prêt à parier qu’il refusera ton offre. Il n’acceptera même pas d’y réfléchir.

— Tu parierais quoi ?

— Un dîner dans le meilleur restaurant de la ville.

— Et moi, si je perds, je te devrai quoi ?

Il la regarda dans les yeux et sourit.

— Un dîner dans le meilleur restaurant de la ville.

Chloé resta pensive une seconde.

— Donc, si j’ai bien compris, quel que soit le gagnant, on dîne ensemble ?

Il se rapprocha encore.

— Oui, c’est exactement ça. Et on se régale.

Elle fut obligée de renverser la tête en arrière pour continuer de le regarder dans les yeux. Il était si proche qu’elle sentait sa chaleur. Et il emplissait son champ de vision. Elle ne pouvait rien voir d’autre que lui.

— Tope là !

La main de Chloé s’avança, comme si elle était animée d’une volonté propre. Mike la prit entre les deux siennes, au lieu de la banale poignée de main à laquelle elle s’était attendue. Et alors, lentement, sans quitter Chloé des yeux, il approcha de ses lèvres la jolie petite main qu’il retenait captive… et l’embrassa.

Quelque chose en elle, dont elle n’avait jamais soupçonné l’existence, s’éveilla. Le désir. Sa main se mit à trembler entre celles de Mike, de façon incontrôlable. D’ailleurs, elle ne contrôlait plus rien, ni ses mains, ni l’expression de son visage, ni son désir.

Elle s’agrippa à la main de Mike tandis qu’il l’attirait vers lui. Elle suivit volontiers le mouvement.

Tout était tellement délicieux. Chloé décida de se rappeler ce moment jusqu’à la fin de ses jours. Les portes-fenêtres ouvraient sur un balcon qui surplombait une plage de sable blanc et, au-delà, l’océan infini étincelait au soleil, comme si des diamants flottaient entre deux eaux. Les rideaux frémissaient dans la brise de mer.

Il y avait au loin le clapotis des vagues, un rire de petite fille et le bruit monotone d’une partie de tennis. Elle humait un curieux mélange de parfums où entraient de l’air marin, une encaustique citronnée, des fleurs… et Mike.

Pour la circonstance, ses cinq sens étaient aiguisés et tout ce qu’elle éprouvait était délectable. Surtout le désir.

Oh, le désir, elle savait ce que c’était ! Elle avait lu des livres, elle en avait entendu parler par des amies, elle y avait réfléchi, mais elle ne l’avait jamais compris.

Maintenant, elle comprenait. Elle concevait que des femmes fréquentent et même épousent des hommes médiocres parce que, pour ressentir ça, ne serait-ce qu’une fois, fugitivement, ça valait encore la peine.

L’excitation l’empêchait de respirer. Sa température corporelle monta tout à coup de plusieurs degrés. Elle sentait son cœur battre. Elle avait des picotements dans les doigts.

Le désir faisait fondre ses entrailles, répandait de la chaleur entre ses cuisses. Lorsque Mike l’attira si près que leurs poitrines se touchèrent pour la première fois, elle sentit son sexe se contracter. Une brusque pulsation. Impossible à confondre avec autre chose. Ça ne lui était jamais arrivé, pourtant elle comprit immédiatement de quoi il retournait. Sans aucune participation de son cerveau, son corps était en train de se préparer pour lui.

Mais ce qui l’étonna le plus, l’excita et l’émerveilla le plus, ce fut de se sentir aussi vivante. Les forces de la vie s’éveillaient dans tout son être et elle se rendit compte que jusqu’ici elle avait plus ou moins été comme morte.

Mais plus maintenant. Maintenant, elle était vivante dans toutes les fibres de son corps, reliée à la terre, aussi humaine que n’importe qui. C’était exaltant. Elle savait sans l’ombre d’un doute que ça ne venait pas d’elle. Ce n’était pas en son pouvoir de se mettre seule dans cet état. Elle avait essayé, ça n’avait jamais marché.

Pour ça, il fallait un Mike Keillor, ses yeux si bleus, sa force, sa puissance, sa virilité. C’était grâce à lui qu’elle se sentait incroyablement vivante.

L’idée l’aurait effrayée si elle avait encore eu la capacité de s’effrayer, mais ce n’était pas le cas. Elle se sentait vivante et forte, prête à tout affronter. Elle aurait été capable de déplacer des montagnes. Une vraie force de la nature.

Tandis qu’il se penchait vers elle, Mike observa attentivement sa réaction, pour voir si elle était consentante ou pas. Comme si la question se posait ! Pas consentante ? Alors qu’elle mourait d’envie d’être embrassée. Et que cela crevait les yeux.

Quelque chose qu’elle n’avait jamais ressenti, en tout cas pas à ce degré d’intensité, la faisait trembler.

Alors, cela arriva.

Mike pencha la tête, cessa de la regarder dans les yeux pour ne plus regarder que sa bouche, puis l’embrassa sur les lèvres. Brièvement, pour commencer. Elle ressentit comme une décharge électrique.

Ils tressaillirent tous les deux. Certes, c’était complètement inédit pour Chloé, mais elle n’était pas experte en la matière. Mike la contempla, les yeux plissés, la mine assombrie, comme s’il avait reçu un choc.

Avant qu’elle puisse dire quelque chose ou s’écarter de lui car, manifestement, il n’était pas emballé par sa manière d’embrasser, il l’embrassa de nouveau, et cette fois sans la moindre hésitation. Il la força à écarter les lèvres et lui glissa sa langue dans la bouche.

Une autre vague de chaleur se répandit dans le corps de Chloé. Elle se colla contre lui et ce fut comme si elle se collait à de l’acier. Leurs langues se touchèrent, Chloé frissonna des pieds à la tête.

Il dut ressentir quelque chose, lui aussi, car soudain il la prit par la taille et, la soulevant, l’emporta jusqu’au mur, à quatre pas de là.

Le rythme de sa respiration s’accéléra quelques secondes plus tard, lorsqu’elle se retrouva coincée entre lui et le mur et qu’il se mit à lui dévorer la bouche.

Ils ne s’embrassaient plus, ils faisaient l’amour, avec leurs bouches et non avec leurs sexes. Pour Chloé, c’était aussi brûlant, aussi excitant et ça lui faisait le même effet. Chaque fois que Mike lui enfonçait sa langue dans la bouche, elle ressentait une pulsation entre les cuisses.

Elle n’aurait pas pu la réprimer, c’était plus fort qu’elle. De toute façon, elle ne voulait pas s’y soustraire. Au contraire, elle voulait Mike encore plus près d’elle, bien que ce fût quasiment impossible. Elle s’agrippa à son cou et se hissa à sa rencontre. Il glissa un genou entre ses cuisses, puis avança l’autre, et soudain ils se retrouvèrent ventre contre ventre.

En plein contre son entrecuisse, elle pouvait le sentir. Une masse dure, vibrante. Qui, chaque fois que leurs langues se touchaient, réagissait et pulsait comme son propre sexe. Mike se frottait à elle, bouche contre bouche, ventre contre ventre. Elle était en feu.

Elle gardait les yeux clos. Pour mieux le sentir. Sentir cet homme tout entier tourné vers elle et qui lui infusait sa force et sa chaleur.

Ils s’embrassèrent encore et encore, et l’instant présent pouvait durer toujours.

Mike retroussa un peu sa jupe et posa sa main sur sa cuisse. Sa main était si large qu’elle enveloppait une incroyable surface de peau. La paume était calleuse. Elle crissa sur le nylon, tandis qu’elle remontait de plus en plus haut.

Il tressaillit en se rendant compte qu’elle portait des bas. Chloé ne portait jamais de collants et, pour l’heure, elle s’en félicita. Lorsque la main de Mike dépassa la dentelle et s’aventura sur la peau nue, elle eut la chair de poule.

Au contact de cette peau nue, il se figea et s’écarta. Elle hésita à rouvrir les yeux. Plusieurs secondes passèrent sans que Mike l’embrasse. Alors, elle plissa les paupières et découvrit le visage de Mike, attentif, penché au-dessus du sien. Il l’observait. Peut-être craignait-il de la brusquer, avec ses baisers et ses caresses…

Quel idiot !

Cette fois, ce fut Chloé qui prit l’initiative. Accrochée au cou de Mike, elle se souleva pour atteindre sa bouche et l’embrassa, à son tour. Avec une fougue maladroite, mais éloquente, ô combien… Mike aussitôt y répondit, plongeant en elle, littéralement. Refoulant sa langue et emplissant sa bouche. L’air manqua à Chloé, en même temps qu’il courait plus bas sur sa peau, sur le haut de ses cuisses et jusqu’à ses reins. Mike venait de retrousser sa jupe jusqu’à sa taille.

Il plaqua son bassin contre elle et lui fit écarter les cuisses jusqu’à ce que leurs sexes se joignent, alignés comme par magie, l’érection de Mike frottant contre sa fente.

Chloé poussa une plainte. Elle était entièrement à sa merci. Elle pouvait sentir la chaleur du membre à travers les épaisseurs de tissu. Comme il la soutenait par les fesses, à la juste hauteur et avec le bon angle, son sexe proéminent frottait au bon endroit, avec une précision affolante.

Chloé voguait sur un océan de plaisir, qui semblait infiniment calme. Et puis soudain, la tempête se leva et une vague déferla sur elle, de plus en plus énorme. Au moment suprême, elle poussa un cri rauque, qui fut avalé par la bouche de Mike. L’onde de plaisir qui naissait entre ses cuisses se répandit de proche en proche dans tout son corps. Une brûlure et une chaleur bienfaisante à la fois. Elle fut secouée de mouvements spasmodiques si violents qu’ils en étaient presque douloureux.

Elle redescendit tout doucement sur terre, les yeux fermés, dodelinant de la tête. Elle soupira. Tout ce qui venait de se passer était extraordinaire. La plus belle expérience de sa vie. En vérité, elle n’avait même jamais rien connu d’approchant.

Mike s’écarta. Elle soupira de nouveau, rouvrit les yeux et reçut un choc. Mike n’avait pas l’air heureux. Il avait même l’air de souffrir.

— Je suis désolé, dit-il sur un ton un peu guindé.

Le bonheur de Chloé vacilla.

— Désolé ? répéta-t-elle, incrédule.

Il était désolé… Il était désolé de l’avoir embrassée, de l’avoir fait jouir ? Elle s’était trompée quelque part, alors, mais où ? Avait-elle mal interprété la situation ? Mais… c’était lui qui avait pris l’initiative de ce baiser. Avait-elle répondu maladroitement ? Avec trop de fougue ? Pas assez de décence ?

Quelle horreur ! Parce que c’était une des rares fois de son existence où elle n’avait pas eu besoin de réfléchir. Elle n’avait même pas réfléchi du tout. Elle avait agi d’instinct, chose qui lui arrivait rarement. Jamais, en fait.

Coincée entre le mur et Mike, elle ne pouvait pas bouger d’un centimètre. Elle pouvait toujours baisser les yeux, pour s’efforcer de cacher sa honte.

Une grande main la prit par le menton et la força à relever la tête. Mike avait l’air dérouté.

— Tu ne m’en veux pas d’avoir brûlé les étapes ?

— T’en vouloir ? Comment est-ce que je pourrais t’en vouloir ? bredouilla-t-elle. C’est la première fois que ça m’arrive. C’était merveilleux.

Mike battit des paupières.

Chloé savait très bien que ce n’était pas le genre de chose qu’une femme doit dire à un homme. Elle n’était pas sortie avec beaucoup d’hommes – en fait, avec aucun –, mais elle avait lu, écouté ses rares amies et elle savait que, passé dix-huit ans, il était de rigueur d’avoir de l’expérience.

Mais elle ne savait pas mentir. Ce n’était pas dans sa nature. Les mots avaient fusé et il était trop tard pour rattraper l’aveu. Trop tard aussi pour jouer les filles cyniques et blasées, celles qui notent leurs orgasmes en faisant la fine bouche.

Mike reprit d’une voix enrouée :

— Eh bien, si tu ne m’en veux pas, si je n’ai pas besoin de m’excuser, alors, laisse-moi te dire franchement que je ne suis pas désolé, pas désolé du tout. En vérité, je serais même prêt à le refaire. En mieux… sur un lit, et sans vêtements…

La regardant droit dans les yeux, il ajouta :

— Mais nous avons tout le temps pour ça, n’est-ce pas ?

Chloé n’avait jamais rien vu de plus sexy que lui et il la regardait comme s’il n’avait jamais rien vu de plus sexy qu’elle. Il était visiblement très excité. Il la fixa longtemps sans ciller et puis il se pencha pour l’embrasser de nouveau ! On ne regrette pas quelque chose qu’on n’a jamais connu. Mais maintenant que Chloé avait l’expérience de ce suprême plaisir, elle en désirait davantage.

Elle s’était crue condamnée à rester privée de sexe. Jusqu’à ce que Mike lui démontre le contraire. Maintenant qu’il l’avait détrompée, elle n’était pas prête à se contenter d’une fois.

Aujourd’hui, elle avait franchi une frontière invisible. Elle avait trouvé un frère, peut-être aussi un amant, et réintégré la commune humanité.

Leurs lèvres se frôlèrent et déjà elle tressaillit de désir.

Une sonnerie les fit sursauter tous les deux. Mike releva la tête et fronça les sourcils.

— Mon téléphone, s’excusa-t-il.

En marmonnant un juron, il le sortit de la poche de sa veste et regarda l’écran.

— Ouais, ouais, Harry, on arrive, maugréa-t-il en réponse au message qui s’affichait.

Il baissa les yeux vers Chloé.

— Plus tard, dit-il avec un demi-sourire.

— Plus tard, acquiesça-t-elle joyeusement.

 

 

Le clan vivait dans un superbe immeuble au bord d’une plage de sable blanc. Chloé fut émerveillée par les lieux.

Nicole et Sam avaient leur appartement au dernier étage. Harry et Ellen habitaient au cinquième et Mike au quatrième.

Lorsqu’ils entrèrent chez Harry, la baby-sitter, une jolie Latina, émergea de la chambre avec un bébé dans les bras, qui pleurait et gigotait.

Ellen le prit et le berça en lui murmurant des mots tendres. Les cris devinrent déchirants. Harry posa la main sur l’épaule de sa femme et se pencha pour regarder sa fille.

Chloé à son tour s’approcha et passa la main sous la tête du bébé. Les pleurs s’apaisèrent, les petits pieds cessèrent de s’agiter.

— Je peux ? risqua Chloé.

Sans une seconde d’hésitation, Ellen lui donna le bébé. Elle était loin de se douter que Chloé n’avait jamais tenu un bébé dans ses bras.

Elle le blottit au creux de son bras gauche et le regarda. C’était le plus petit être humain qu’elle eût jamais vu et elle en tomba immédiatement amoureuse.

— Chloé, je te présente ta nièce Grace Christine, dit Ellen. Nous l’appelons Gracie. Gracie, je te présente ta tante Chloé.

Chloé regarda la petite frimousse et fut frappée par la ressemblance avec elle. La même couleur des yeux – un brun clair qui paraissait doré dans la lumière du soleil se déversant abondamment par les immenses baies vitrées.

Tous les médecins avaient dit à Chloé qu’elle ne pourrait jamais enfanter. Ses blessures avaient été trop graves. Des fragments d’os avaient sectionné les trompes de Fallope. Elle le savait depuis l’enfance, elle n’aurait pas d’enfant.

C’est pourquoi elle n’avait jamais pensé qu’un jour elle tiendrait dans ses bras une petite fille qui lui ressemblerait.

Et pourtant, c’était bien ce qui était en train de se passer. Un petit miracle. Gracie. Dans ses bras.

Le bébé la regarda comme si elle avait été une créature céleste et exhiba ses gencives sans dents, ce que Chloé interpréta comme un sourire. Et elle comprit qu’elle avait envie de tenir un rôle dans la vie de ce bébé, autant que ses parents le permettraient.

À en juger d’après la mine des parents en question, ce serait un grand rôle.

Gracie, bercée par Chloé, cessa complètement de pleurer. Chloé perdit la notion du temps, oublia qu’ils étaient attendus là-haut, chez Nicole et Sam, oublia qu’elle était censée s’installer dans sa chambre, oublia tout ce qui n’était Gracie, ses beaux yeux et sa peau toute douce.

Soudain, elle se rendit compte du drôle de silence qui régnait autour d’elle. Lorsqu’elle réussit à s’arracher à la contemplation du bébé, elle vit que les trois autres l’observaient curieusement. Les yeux d’Harry et ceux de Mike étaient attendris, ceux d’Ellen carrément mouillés de larmes.

— Quoi ? fit-elle.

Ellen s’essuya les joues avec le dos de la main.

— Gracie a été si pénible ces derniers temps qu’on ne savait quoi faire pour la calmer. Et elle a cessé de pleurer à la seconde où elle a été dans tes bras. Tu as le chic avec les enfants, Chloé.

Holà ! On n’avait pas idée de se tromper comme ça ! Chloé ne savait pas s’y prendre avec les enfants, mais alors là, pas du tout. Elle n’en avait jamais fréquenté, ne les connaissait pas. Ce qu’elle avait fait avec Gracie, elle l’avait fait d’instinct.

Comme avec Mike.

En y repensant, elle rougit jusqu’au blanc des yeux et se pencha vers Gracie pour que personne ne s’en aperçoive.

Un téléphone sonna et la grosse voix d’Harry répondit.

— Allô, Nicole ? Oui, Chloé et Gracie sont en train de faire connaissance. J’ai l’impression que le courant passe entre ces deux-là. On arrive tout de suite.

Il raccrocha et reprit :

— Sam est en train de siffler tout le champagne ! Et les plats de Manuela refroidissent. Chloé, tu t’installeras tranquillement après le déjeuner. Ça te va comme ça ? Tu as faim ?

Chloé, surprise d’être interpellée, releva la tête.

— Oui, j’ai faim.

Et c’était vrai. En principe, Chloé n’avait jamais faim. À l’hôpital, il avait fallu quelquefois la mettre sous perfusion parce qu’elle n’arrivait pas à se nourrir. Même maintenant, elle mangeait peu et sans faim. Souvent, la simple idée de nourriture lui soulevait le cœur.

Pour l’heure, elle était affamée. Embrasser Mike, avoir son premier orgasme, tenir dans ses bras un bébé qui lui ressemblait trait pour trait – tout cela lui avait ouvert l’appétit et elle salivait à l’idée du festin qui les attendait là-haut.

— En route, dit Harry en poussant tout le monde vers la sortie.

Chloé regarda encore la petite fille dans ses bras. Gracie avait fermé les yeux. Elle poussa un soupir et sourit de nouveau. Enfin, elle fit une mimique que Chloé prit pour un sourire.

— Chloé ? insista Harry.

Il était déjà à la porte, avec Ellen à ses côtés.

— Elle s’est endormie, murmura Chloé. J’ai peur de la réveiller.

— Non ! implora Ellen, ne la réveillons surtout pas ! Tu as envie de la porter dans tes bras jusque là-haut ?

En toute autre circonstance, elle aurait reculé devant l’idée d’être responsable d’un bébé. Marcher en tenant un bébé ! Elle qui avait souvent du mal à tenir debout ! Ce n’était certes pas une bonne idée. Mais sans savoir d’où lui venait cette soudaine confiance en elle, Chloé était sûre de ne pas trébucher avec Gracie dans ses bras. Elle se sentait forte, solidement campée sur le sol.

Et puis, il y avait Mike.

Pouvait-elle tomber avec Mike à ses côtés ?

Alors, elle sourit à Harry et à Ellen, ses nouveaux frère et belle-sœur. Elle sourit à Mike, son nouveau… Dieu sait quoi. Et elle dit avec assurance :

— C’est bon, allons-y.